Quarante ans après avoir arrêté, puis changé le temps (2024)

La création du Fonds de solidarité FTQ, il y a 40ans, allait changer le cours de l’Histoire au Québec. Mais elle a commencé par arrêter le temps.

Officiellement, le Fonds de solidarité FTQ a été créé le 23juin 1983, mais ce n’est pas tout à fait exact. Engagés dans un dernier sprint en vue de l’adoption de sa loi constitutive, les députés de l’Assemblée nationale du Québec se sont bien rendu compte, ce jour-là, qu’ils n’y arriveraient pas avant que ne sonnent les douze coups de minuit et avant qu’ils soient forcés de suspendre leurs travaux pour l’été.

«Ils ont convenu d’arrêter l’horloge, se souvient Claude Blanchet, le premier grand patron du Fonds. Je ne me souviens plus exactement pendant combien de temps il a été minuit moins une sur les cadrans de l’Assemblée nationale, ce 23juin-là. Je dirais au moins une bonne heure.»

L’anecdote témoigne du fort taux d’appui des élus à l’égard du projet. Il faut dire que c’était la crise économique, avec un taux de chômage moyen de presque 14% et son cortège de fermetures d’entreprises. Le gouvernement péquiste de René Lévesque comme l’opposition libérale étaient prêts à tout essayer pour aider l’économie québécoise à rebondir, y compris appuyer par des déductions fiscales et un prêt de départ de 10millions la naissance d’une nouvelle sorte de fonds d’investissem*nt issu du monde syndical et destiné principalement à la création d’emplois et à l’aide aux PME.

La «patente à Louis Laberge»

Ce bel enthousiasme pour ce que d’aucuns surnommeront «la patente à Louis Laberge» — du nom du président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et principal défenseur du projet — n’était cependant pas partagé par tout le monde, rappelait Louis Fournier dans une histoire du Fonds FTQ en 1991.

Dans le monde des affaires, de nombreuses voix y voyaient un projet contre nature qui se mènerait, au mieux, à un gênant échec financier et, au pire, à l’imposition d’une sorte de cogestion aux entreprises qui auraient l’imprudence d’accepter l’argent du Fonds. De nombreuses voix syndicales s’opposaient aussi à l’idée, y voyant une impossible coopération avec le capitalisme, voire une capitulation.

«Pour la FTQ, c’était un virage idéologique majeur après une décennie à dire qu’on voulait casser le système», souligne Claude Blanchet, qui avait aidé à l’élaboration du projet avant de devenir le premier président-directeur général du Fonds à 38ans, qui l’est resté jusqu’en 1997. «C’était aussi très innovateur, parce qu’il n’existait rien de pareil dans le monde.»

Le plus proche qu’on avait vu jusque-là, c’était des travailleurs qui investissaient dans leur propre entreprise, au risque de tout perdre en cas de faillite, emploi et épargne, ou encore un fonds d’investissem*nt en Suède financé à même les profits des entreprises. Avec le Fonds de solidarité FTQ, il était question de convaincre des travailleurs d’y investir une partie de leur épargne-retraite en échange de généreuses déductions fiscales, de rendements qu’on espérait être au rendez-vous et du sentiment de participer au développement économique du Québec.

«Il a fallu du temps, se souvient Claude Blanchet. Il n’y avait pas beaucoup de braves, au début. Il n’était pas question de convaincre quelques grands investisseurs, mais des milliers de travailleurs ordinaires d’y mettre 10$ par semaine. Et quand tu disposes de peu de fonds, tu n’as pas beaucoup de possibilités d’investissem*nts non plus ni beaucoup de crédibilité auprès des entreprises.»

Il faut dire qu’à l’époque, la moitié des Québécois avait moins de 2000$ d’épargne et que le quart n’avait même rien du tout. Le capital de risque pour aider le démarrage d’entreprises prometteuses était également presque inexistant à l’époque, rappelle Claude Blanchet. «Le succès du Fonds a convaincu la CSN de se lancer à son tour avec Fondaction. Très frileux jusque-là, Desjardins a aussi décidé d’embarquer.»

Visionnaire et de son temps

«Quand on regarde cela en rétrospective, on se dit qu’il fallait beaucoup de vision et d’audace», dit, de la création du Fonds dans les années 1980, Janie Béïque, qui est devenue la première femme à le diriger à titre de présidente et cheffe de la direction il y a deux ans. En osant mettre de l’avant non seulement le rendement financier, mais aussi de «rendement sociétal», «on était un précurseur de l’investissem*nt responsable.»

En novembre dernier, le Fonds comptait plus de 750000 actionnaires et disposait d’un actif net approchant les 18milliards investis notamment dans plus de 3600 entreprises représentant près de 300000 emplois.

La plus grande réussite du Fonds en 40ans ne se mesure pas en nombre d’emplois, pense Janie Béïque. C’est plutôt d’avoir été là et d’être intervenu chaque fois que les travailleurs, les entreprises et l’économie du Québec ont rencontré des difficultés ou se voyaient offrir une nouvelle chance de développement.

Elle pense, bien sûr, à la crise économique du début années1980, mais aussi lorsqu’il a fallu structurer l’industrie du capital de risque, lorsque la bulle technologique a éclaté au début de l’an 2000, lorsqu’il a fallu réinventer le secteur québécois des biotechnologies après le départ en masse des entreprises pharmaceutiques ou lorsqu’on a voulu relancer les secteurs du bois et des mines.

«Ce n’est pas toujours fait de façon spectaculaire. Et comme on est plus des gens de terrain et qu’on ne travaille jamais seule, on nous en attribue peut-être moins le mérite.»

Une autre grande réussite du Fonds est d’avoir aidé à bâtir une meilleure compréhension réciproque et une meilleure coopération entre les travailleurs, les employeurs et les gouvernements, estime Claude Blanchet. Par ses programmes de formation économique des travailleurs, le Fonds les a aidés à mieux comprendre la réalité des entreprises. Mais en entrant dans l’actionnariat et les conseils d’administration de ces mêmes entreprises, le Fonds a aussi donné aux travailleurs et à leur point de vue une voix plus forte.

«Je crois qu’on peut parler de révolution. Dans les années 1970, le Québec était le champion des grèves et des lockout, au Canada, rappelle-t-il. La situation s’est complètement renversée par la suite. Il est devenu la société la moins inégalitaire, où règne la plus grande cohésion en Amérique du Nord.»

Les défis de l’heure

Bien de son temps, le Fonds veut s’attaquer en priorité à trois grands défis dans les prochaines années, dit Janie Béïque. Le premier sera les iniquités intergénérationnelles, notamment en matière d’épargne-retraite chez les travailleurs les plus modestes. «Au Québec, on crée les retraités les plus pauvres au Canada.»

Le Fonds souhaite également faire sa part face au problème de l’accès au logement. Et tant qu’à être dans le domaine immobilier, il voudrait aussi y accélérer le développement d’un secteur de la construction durable.

Les défis environnementaux et de développement durable seront évidemment centraux les prochaines années, poursuit la cheffe du Fonds, au point où l’on entend y porter ses actifs totaux à 12milliards d’ici cinqans.

«Pour aider au développement durable d’une société, il faut avoir des valeurs et y rester collé parce que c’est payant. Mais dans un monde où tout bouge, la seule façon de parvenir à relever les défis qui nous attendent sera de tous nous y mettre, pas juste le Fonds ou les gouvernements, mais les citoyens, aussi. Ça va prendre l’engagement de tous.»

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